Cannes 2025 : Les 7 meilleurs films de la compétition cannoise

Cannes 2025 : Les 7 meilleurs films de la compétition cannoise

28 mai 2025

9 minutes

Alors que les lumières du Festival de Cannes se sont éteintes et que le tapis rouge a été remballé, l’heure est venue de faire le point. Entre révélations, confirmations et débats ionnés, cette 78ᵉ édition a une nouvelle fois tenu toutes ses promesses. Nous avons sélectionné les 7 films les mieux notés de la compétition officielle. Un panorama subjectif mais éclairant, reflet des coups de cœur des membres de SensCritique.

SIRAT d’Oliver Laxe - un bad trip mystique dans le désert



Prix du jury à Cannes, Sirat marque un tournant radical dans la filmographie d’Oliver Laxe. Après le contemplatif Viendra le feu, le réalisateur franco-espagnol signe un film-sensation, hybride entre road movie existentiel, expérience sensorielle et techno-rave halluciné.


Un père (Sergi López), son fils et un chien traversent le désert marocain à la recherche de Mar, fille et sœur disparue lors d’un rave. Peu à peu, le récit s’efface au profit d’une dérive hypnotique. Le désert devient un espace mental, un purgatoire incandescent où les personnages affrontent leurs peurs, leurs angoisses, une nature puissante qui les dée.


Sirat ne se raconte pas : il se vit. Film presque muet, structuré comme un morceau de musique techno— introduction ambient (le titre du film n'apparaît qu’au bout de 45 minutes), montée lente, puis explosion totale —, il propose une immersion douce dans une matière sonore et visuelle abrasive. Le grain du 35mm, les tempêtes de sable, la lumière écrasante : tout concourt à une perte de repères. L’esthétique, rugueuse et minimaliste, évoque autant Mad Max qu’un rite initiatique dans l’esprit de l’art vidéo de Bill Viola.


Oliver Laxe signe un manifeste sur la perte de contrôle, la dissolution de l’individu dans le collectif, le retour à une nature primordiale. Sirat interroge sans appuyer, politise sans démontrer, médite sur les frontières entre réel et hallucination, liberté et abandon, corps et monde.

Une proposition rare, radicale, exigeante et profondément viscérale.


LA PETITE DERNIÈRE d’Hafsia Herzi - jeunesse queer et brûlante



Film vibrant et percutant, La Petite Dernière adapte librement le roman autofictionnel de Fatima Daas, pour tracer le portrait d’une héroïne à la fois singulière et universelle — mais aussi celui d’une ville, d’une époque.


Paris rebelle : La Mutinerie dans le Marais, la banlieue, la mosquée, les soirées dans des appart’ haussmanniens. Fatima, 17 ans, est la « petite dernière » d’une grande famille aimante. Mais elle n’a rien d’une petite fille. Confiante, courageuse, réservée parfois, elle mène une vie tranquille : lycée, copains, foot. Elle est tomboy, bonne élève, fière et discrète.


Puis vient le basculement : acceptée à la fac de philo à Paris, elle commence à questionner sa sexualité, sa foi, son identité lesbienne et musulmane, et cherche une forme de réconciliation, d’émancipation. Hafsia Herzi filme cette double quête avec une audace provocante — scènes de sexe oral et prière côte à côte — et une tendresse inédite, caractéristique de son style (Tout le monde mérite un amour, Bonne mère).


Le film est rythmé par le age des saisons, par les blessures, les élans, l’homophobie, intérieure et extérieure : la haine qui va être battue par l’amour. Ce n’est pas juste un coming of age : c’est une chronique sensible et puissante d’un état de transition permanent — comme celui que nous partageons tous.tes aujourd’hui.


WOMAN AND CHILD de Saeed Roustaee - tragédie familiale sous tension



Après Leila et ses frères, Saeed Roustaee continue de tisser des récits intimes dans un Iran en crise. Cette fois, c’est Mahnaz, 40 ans, veuve et infirmière, qui lutte pour maintenir l’équilibre familial. Son fils, Aliyar, est suspendu du lycée. Lors d’une fête de fiançailles avec son nouveau compagnon, un accident tragique survient.


Ce drame intime nous entraîne dans une spirale de douleur et de silences, où les liens familiaux se distendent jusqu’à l’inconcevable. Autour de Mahnaz, l’indifférence gagne du terrain — et avec elle, une série de décisions incompréhensibles qui creusent encore plus l’abîme.


C’est glaçant. Mais surtout, bouleversant. Car derrière ce qui ressemble à une vengeance, se dessine le portrait d’une femme anéantie, dont le seul tort aura peut-être été de ne pas rester indifférente.


Si d’autres réalisateurs de la Nouvelle vague iranienne (Rasoulof avec Les grains du figuier sauvage, Panahi avec Un simple accident) commencent à expérimenter un peu avec le thriller social, Roustaee le maîtrise. Il explore les tensions familiales avec finesse, dans un cinéma du genre sobre et intense. Et soudain, la fameuse phrase de Sartre, « L’enfer, c’est les autres », prend une dimension encore plus puissante dans un régime où la misogynie est loi.


UN SIMPLE ACCIDENT de Jafar Panahi - thriller absurdiste et désertique



Dans un désert qui évoque Le Goût de la cerise, Panahi, signe un film à la fois absurde et terriblement concret. Le réalisateur iranien y explore l’illusion des liens de cause à effet et rejette l’idée d’un Dieu omniscient et bienveillant. Cette vision ret celle de Beckett dans En attendant Godot (une référence explicite dans le film): les personnages errent dans un monde absurde, privé de sens ultime, où tout simplement il se e des choses. Le cinéma de Panahi bascule ici du théâtre épique brechtien (relu par Althusser) vers le théâtre de l’absurde.


Le film tranche avec le ton habituellement espiègle, autobiographique de Panahi. La scène d’ouverture en donne la mesure : une famille roule de nuit, le père distrait percute un chien. La mère commente : « C’est la volonté d’Allah ». La fille rétorque : « Papa a tué un chien, quel rapport avec Allah ? ». Ce fait apparemment anodin déclenche une chaîne de choix moraux, faisant basculer le film dans le registre du thriller social. Panahi y affirme : même s’il existe des enchaînements logiques, leur sens ne tient qu’à nous.


Dans Logique du sens, Gilles Deleuze cite l’écrivain Joë Bousquet, paralysé à la suite de la Grande Guerre, qui transforma sa souf physique en moteur poétique. Pour Deleuze, le sens naît d’un (non-)événement — quelque chose a eu lieu, mais ne peut ni se dire ni se comprendre. L’acte créatif devient alors l’espace idéal de cette mise en forme de l’indicible et l’incorporel en même temps. Le sens surgit de la résistance à la douleur, dans la dignité de celui qui affirme ce qui lui arrive.


Comme chez Panahi, chez Deleuze, la création de sens dans l’art devient un refuge dans le chaos, un acte de résistance et de liberté. Malgré cette couche philosophique, Un simple accident est peut-être le film le plus grand public de Panahi : il expérimente la forme, le rythme, l’adresse au spectateur. Un cinéma mouvant ET sans compromis.


Depuis 2010, les autorités iraniennes ont interdit à Panahi de tourner des films, de donner des interviews et de quitter le pays. Mais Panahi a bravé ces interdictions régulièrement, avec sa légèreté et sa malice habituelles.


Assigné à résidence, il réalise Ceci n’est pas un film — un documentaire dans lequel le cinéaste, depuis son salon, réfléchit au cinéma, à la liberté et à une réalité politique devenue plus cruciale encore que l’art lui-même. Selon la légende, pour projeter ce film à Cannes en 2011, la clé USB contenant le fichier aurait été sortie d’Iran cachée dans un gâteau. En 2025, Panahi s’y rend en personne et remporte la Palme d’or.


VALEUR SENTIMENTALE de Joachim Trier - une lettre d’amour au cinéma



Un réalisateur célèbre (Stellan Skarsgård) réapparaît dans la vie de ses deux filles après des années d’absence. Il propose à Nora (Renate Reinsve), comédienne, un rôle dans son prochain film. Elle refuse, incapable de renouer. Le rôle est confié à une star hollywoodienne (Elle Fanning)… et les blessures se ravivent.


Comme chez Bergman, Trier s’attarde sur les visages, les silences, les non-dits.

Mais c’est la maison familiale, théâtre de retrouvailles, de ruptures et de souvenirs, qui devient le véritable personnage du film. Métaphore d’un é qui persiste, lieu de la mémoire et des fantômes, elle incarne le cœur battant du récit.


Entre les portraits intimes de Trilogie d’Oslo et lettre d’amour au cinéma, Valeur sentimentale est une œuvre douce-amère, traversée par une cinéphilie discrète mais réelle : on y croise La Pianiste, Irréversible, et même le Festival de Cannes. Un film sur ce que le cinéma permet de dire — ou de réparer.


RESURRECTION de Bi Gan - opéra de science-fiction métaphysique



Bi Gan revient avec une fable post-apocalyptique, somptueuse et labyrinthique.

Une femme, rescapée d’une opération cérébrale, raconte des histoires à un androïde endormi. À chaque récit, il s’éveille.


Comme dans Long Day’s Journey into Night, Bi Gan déploie des plans hypnotiques, des néons, des glissements de réalité. Le temps se plie, les rêves s’emboîtent.

Inspiré par le rêve du papillon de Zhuangzi, Resurrection interroge : et si le cinéma était la vraie réalité ?


C’est un film-monde, nourri de références (Méliès, Lynch, Cloud Atlas), qui croit au pouvoir du cinéma comme religion païenne. Une œuvre exigeante, mystique, traversée par une foi dans les images.


DOSSIER 137 de Dominik Moll - All Cats are Beautiful ou une leçon de tendresse radicale



Dominik Moll revient avec un polar à froid, au bord du documentaire. Stéphanie, enquêtrice à l’IGPN, hérite d’un dossier parmi d’autres : une manifestation, un blessé par LBD, à elle de démêler les responsabilités. Mais un détail mineur vient gripper la mécanique. Le dossier 137 cesse alors d’être un simple numéro.


Le film adopte un style quasi-documentaire, dénué de toute emphase, presque froid. Et c’est justement ce refus d’effets, cette mise à distance apparente, qui devient une posture politique en soi.


Comme dans Seules les bêtes, où les influences hitchcockiennes et antonioniennes sculptaient l’espace du doute, ou dans La Nuit du 12, où l’ombre de Lynch pesait sur l’enquête, Moll travaille l’ambiguïté morale. Il ne juge jamais, mais regarde avec une lucidité implacable. Il signe un récit chirurgical, tendu, sans parti pris esthétique... sauf que ce refus de style devient un style, une sorte de docufiction qui fixe la réalité avec beaucoup d’attention.


Contrairement à Deux Procureurs de Loznitza (un autre participant de la Competition officielle), qui montre l’URSS figée dans le désespoir, Dossier 137 offre une lumière : celle d’un geste de tendresse dans un monde brutal. Une forme de résistance, douce, mais tenace.

Parce que parfois, la radicalité, c’est la tendresse (et des chats), surtout quand tout pousse à l’inverse.


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