Des Moog et des mirages

Après quinze ans de silence studio, Stereolab revient avec un album qui confirme que le groupe n'a rien perdu de sa science de l'arrangement. Rythmes motorik krautrock, claviers analogiques et structures sinueuses... La matière sonore est dense, inventive, impeccablement produite. Loin d'un retour paresseux, on entend au contraire un groupe qui cherche encore, y compris musicalement, à conjuguer forme pop et déconstruction.


Mais à ce foisonnement sonore répond une tension idéologique non résolue. Le disque oscille entre deux logiques. D'un côté, des morceaux à la charge politique explicite : Melodie Is a Wound, l'un des meilleurs du disque, évoque frontalement la répression étatique, les extraditions arbitraires (en résonance avec les politiques migratoires contemporaines : Trump, Bukele, UE, Rwanda) et la censure, avec un lyrisme acéré. Colour Television, lui, attaque de manière limpide le mensonge universalisant de la classe moyenne et le mythe du développement. Dans ces moments-là, Stereolab touche juste et retrouve une pertinence critique bienvenue.


Ailleurs, les textes s'égarent. Une bonne moitié de l'album s’enfonce dans un verbiage spiritualiste : Immortal Hands, Le Cœur et la Force, Transmuted Matter ou Esemplastic Creeping Eruption mêlent chakras, lumière, méditation, fréquences supérieures et 'ayn al-qalb. Le capitalisme y est perçu comme une ime existentielle, pas comme un système social structurant. On ne parle plus de luttes, mais de "reliement", de "guérison", de "cycle", de "sacré". Le langage de l’émancipation devient celui du new age, on glisse dangereusement vers un imaginaire pierre-rabhien, où la lutte des classes est diluée dans un bain d'ésotérisme.


Musicalement, ces morceaux plus contemplatifs bénéficient pourtant d'un soin d'orfèvre. Les textures sont raffinées, les transitions pleines de grâce. Il y a une beauté formelle indéniable, parfois même un envoûtement. Mais cette beauté semble souvent anesthésiante. On glisse du politique au consolatoire. On perçoit le désastre, mais on le dée dans l'abstraction.


En résumé, Stereolab semble hésiter entre deux horizons : celui d'une critique matérialiste du capitalisme mondialisé, et celui d'une retraite vers la spiritualité intérieure. Le groupe a encore des éclairs de lucidité politique, mais ils sont régulièrement noyés sous une pluie d'images mystiques. C'est un album qui rêve de révolution, mais souvent au mauvais endroit.

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le 29 mai 2025

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WuMing9

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