Le film le plus récent que j'avais regardé des frères Dardenne était jusqu'ici Le Silence de Lorna. C'est dire si je suis un acharné de leur cinéma. J'avoue mépriser leur tendance à se complaire un peu trop dans le glauque – je précise qu'il faut montrer la réalité cruelle de la vie, mais il y a une différence entre faire cela et alourdir inutilement le trait – le tout filmé avec une caméra portée par un type qui a un peu trop abusé de la Chouffe, tout en ayant visiblement une envie très pressante d'aller aux toilettes. Leur seul grand mérite, pour moi, est d'avoir donné sa chance à la très regrettée Émilie Dequenne.
Mais bon, il s'est écoulé plus d'une dizaine d'années. J'ai changé. Je suis devenu plus vieux et plus con. Eux aussi ont dû changer. C'est pour cela que je me suis décidé à voir où ils en étaient avec ce Jeunes Mères.
Première bonne surprise : le caméraman s'enfile un peu moins de litres de Chouffe. Ce n'est pas parfait, mais il y a un mieux. Deuxième bonne surprise : ils abusent nettement moins du glauque – même si quelques mauvais réflexes restent en filigrane. Mais bon, est-ce que ce film est réussi ? Sans être un ratage, on est loin d'une maîtrise parfaite.
Alors, dans Jeunes Mères, on suit plusieurs jeunes mères – ouais, vous ne l'auriez jamais deviné sans moi. Jeunes mères beaucoup trop jeunes, qui sont au nombre de quatre et demie. Oui, "et demie", parce qu'il y en a une cinquième qui se décide très vite à voler de ses propres ailes. En conséquence, l'ensemble se concentre sur les quatre autres. Ces demoiselles ont trouvé refuge dans un centre qui les aide à faire face à cette maternité précoce.
Et il y a des thématiques liées à la reproduction sociale qui sont intéressantes. Par exemple, le personnage de Jessica se rend compte qu'elle ne peut pas s'empêcher de ressentir de l'indifférence à l'égard de son enfant, comme sa propre mère, qui l'avait abandonnée à sa naissance. Ou encore le personnage d'Ariane, qui veut absolument mettre sa fille à l'adoption, malgré l'opposition de sa mère indigne, pour lui éviter de connaître le même environnement de violence. Ce sont des sujets très forts et assez bien traités.
Par contre, pour le personnage de Julie, les frères se sont sentis obligés de lui ajouter une toxicomanie. Oui, parce qu'ils ont dû penser – à tort – que le portrait d'une très jeune mère, avec un compagnon profondément amoureux et pleinement prêt à assumer son rôle de père, évoluant dans des environnements familiaux et professionnels assez équilibrés, n'était pas suffisamment intéressant sur le plan dramaturgique – trop positif, sûrement. Déjà, il peut arriver qu'au sein d'une épreuve, tout aille bien. Et, de plus, si l'on excepte un moment hors champ, cette toxicomanie n'est jamais traitée en profondeur. La réalisation ne parvient jamais à montrer Julie comme fébrile, en manque, susceptible de tomber à la moindre occasion. Il n'y a aucune tension à ce niveau-là. J'ai eu l'impression que cette toxicomanie n'était présente que pour cocher une case dans un cahier des charges.
Même reproche pour la quatrième protagoniste : Perla. Il est suggéré, au détour de deux vagues mentions, qu'elle souffre d'alcoolisme. Mais c'est tout, cela ne va pas plus loin. Le fait que son tocard d'immature injecteur de sperme ne veuille pas assumer avec elle le poids de la parentalité était – là encore – suffisant pour donner de la force émotionnelle à son arc narratif. Pas besoin d'en rajouter.
Un autre défaut, c'est que le cocon – à savoir le centre – dans lequel les quatre personnages principaux évoluent, n'est jamais bien personnifié. Le film ne s'étend jamais sur l'éventuelle sororité qui pourrait y régner, ne creuse jamais les relations que nos quatre mamans ont entre elles. Pourtant, la séquence du discours d'adieu de la "quatrième et demie", Naïma, laissait entrevoir un beau potentiel pour approfondir ce lumineux environnement. C'est exactement le même problème pour les personnages travaillant dans le centre, qui ne sont jamais mis en valeur. J'ai eu l'impression que les jeunes comédiennes parlaient constamment à du hors-champ. Alors, j'entends bien que le film voulait se focaliser sur Julie, Ariane, Perla et Jessica ; mais voir ces dernières, à l'extérieur de leur refuge commun, par le biais de nombreuses scènes, en train d'essayer de régler, chacune de leur côté, leurs emmerdes, suffisait largement à les mettre en avant et à maintenir leur statut de protagonistes.
Pour ce qui est de l'interprétation, elle est plutôt convaincante. On perçoit que les quatre actrices principales ont déjà quelques lignes sur leur CV. J'ai juste trouvé le jeu de Lucie Laruelle – qui interprète le rôle de Perla – peu convaincant lors des conversations téléphoniques durant lesquelles on n'entend pas son interlocuteur. J'ai eu le sentiment qu'elle parlait dans le vide. Si c'est vraiment le cas, les deux frangins ont commis une très grosse erreur de débutants, car avoir quelqu'un qui donne réellement la réplique, ça aide à fournir un ton plus juste à son jeu.
Pour conclure, Jeunes Mères témoigne pour moi – en tenant compte de ma longue absence par rapport à leur filmographie –d'une certaine évolution dans le cinéma des frères Dardenne. Leur mise en scène se fait un peu plus posée, leur penchant pour le glauque est considérablement atténué, et certaines thématiques, notamment autour de la reproduction sociale, sont traitées avec une vraie sensibilité. Mais l'ensemble est un peu trop bancal, avec des personnages parfois surchargés inutilement et un cadre collectif qui manque de consistance. Ce n’est pas un mauvais film, loin de là, mais il laisse l’impression d’un potentiel partiellement exploité. Et c'est aussi dommage que frustrant.